[Journal Club] Contrôle à longue distance de la réactivité du site actif d’une métalloenzyme
L’étude de métalloenzymes a révélé que leur réactivité n’est pas seulement déterminée par les ligands directs leurs ions métalliques, mais aussi par les acides aminés voisins du site actif inorganique, ceux de la seconde sphère de coordination. Cette information a guidé la conception de complexes de métaux de transition biomimétiques très actifs. Des chercheurs du laboratoire de Bioénergétique et Ingénierie des Protéines (CNRS, Aix-Marseille Université) et des Universités de Bochum (Allemagne) et de Turin (Italie) viennent de démontrer dans la revue Nature Communications que la réactivité du site actif peut aussi être déterminée par des acides aminés très distants du site actif: leur nature influence la flexibilité de la protéine et permet en conséquence de moduler la première sphère de coordination.
Les hydrogénases sont des métalloenzymes qui utilisent des sites actifs inorganiques, à base de métaux de transition (fer ou nickel), pour catalyser l’oxydation et la production du dihydrogène. L’étude des hydrogénases “à Fer” est un cas d’école en chimie inorganique biomimétique: la structure de l’enzyme élucidée à la fin des années 1990 a permis de comprendre que l’atome d’azote d’une amine dans la seconde sphère de coordination du métal joue un rôle crucial dans la catalyse, en acceptant le proton résultant du clivage hétérolytique du dihydrogène [1].
On considère habituellement que les acides aminés situés à longue distance du site actif, dans la sphère de coordination “externe”, n’interviennent que pour connecter le site actif et l’extérieur de l’enzyme, en aidant les transferts à longue distance des substrats et produits de l’enzyme (les électrons, protons, et le dihydrogène). L’étude par cristallographie, spectroscopie IR, électrochimie et mutagenèse dirigée de l’hydrogénase de la bactérie Clostridium beijerinckii a permis d’illustrer un nouveau mécanisme par lequel la partie protéique d’une enzyme peut déterminer ses propriétés [2].
Contrairement aux hydrogénases à Fer qui étaient connues jusqu’alors, le site actif de cette hydrogénase n’est pas détruit par l’oxygène parce que dans des conditions oxydantes, une cystéine de la seconde sphère de coordination se lie directement à l’ion fer du site actif et le protège. Cette cystéine est présente dans presque toutes les hydrogénases à Fer, mais la flexibilité de la boucle qui la porte est fortement influencée par trois acides aminés non conservés situés à 13Å du site actif. Leur encombrement stérique détermine la vitesse du changement de conformation qui permet à la cystéine de se fixer sur l’ion fer du site actif. Cette liaison complète la sphère de coordination de l’ion fer et empêche la fixation du dioxygène, ce qui protège le site actif.
L’étude permet de détailler le rôle de chacun de ces acides aminés distants du site actif dans le changement de conformation qui se produit dans une hydrogénase particulière, et démontre qu’à l’intérieur de la grande famille des hydrogénases à Fer, les propriétés de l’enzyme ne sont pas imposées uniquement par l’environnement immédiat et très conservé du site actif, mais aussi par un contrôle à longue distance de la réactivité du site actif par des acides aminés qui sont très variables d’une enzyme à l’autre.
[1] Colloque « Biomimétisme et chimie durable », 10 novembre 2015, “Quelles voies de recherches pour la catalyse de l’hydrogène et la valorisation du dioxyde de carbone ?” C. Léger, “Oxydation et production de dihydrogène : leçons de la Nature”. [2] Martin Winkler, Jifu Duan, Andreas Rutz, Christina Felbek, Lisa Scholtysek, Oliver Lampret, Jan Jaenecke, Ulf Peter Apfel, Gianfranco Gilardi, Francesca Valetti, Vincent Fourmond, Eckhard Hofmann, Christophe Léger, Thomas Happe “A safety cap protects hydrogenase from oxygen attack” Nature Communications, doi: 10.1038/s41467-020-20861-2, (2021)